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œuvre pérenne en grès émaillé, 2m70 x 2M10. Installée à la piscine "Le Point d'Eau".
L’œuvre d’Eva Evrard fait référence au monde du travail et à son histoire sociale. Lorsqu’elle est invitée par Keramis en 2020, l’artiste est immédiatement marquée par la découverte de l’exceptionnelle composition en grès produite, à la demande de la SNCB, par la faïencerie Boch Frères Keramis, pour la nouvelle gare de La Louvière-Centre. Création du maître d’art Ernest D’Hossche (1912-1976), céramiste attaché à l’entreprise, celle-ci représente, en un vaste paysage sur fond de réseau fluvial, la plupart des industries ayant fait la richesse de la région du Centre. On y voit la métallurgie, l’extraction minière, la verrerie, la faïencerie, les industries textiles, chimiques ou brassicoles. Dans son panorama, Ernest D’Hossche n’a pas oublié les arts : les lettres, la peinture, la sculpture, la céramique ou la gravure sont bien visibles dans le côté droit de la composition.
À la différence de cette référence à un passé prospère, Eva Evrard a souhaité convoquer une autre réalité, plus actuelle, celle de la pénibilité de certains emplois peu qualifiés dans les énormes dépôts des sociétés de vente en ligne. L’idée n’étant plus de créer une œuvre commémorative mais de mettre en garde sur les conditions de travail dans toutes les entreprises « GAFA » et de se demander ce que nos aïeux et aïeules, s’ils et elles les avaient connues, auraient pu a posteriori y trouver de glorieux ? L’artiste a aussi cherché à symboliser autant l’aliénation que la libération des corps, dans ce cas, par la danse, un art actuel oublié dans l’ancienne murale et pourtant bien présent à La Louvière aujourd’hui. D’où cette voie que l’artiste emprunte, à mi-chemin entre abstraction et figuration qui donne à l’œuvre une lecture assez ouverte. Dans le contexte de la piscine, il s’agit d’un jeu de formes en mouvement. On devine des corps et, sur des plans entrecroisés, les cartons d’emballage déstructurés. Il s’agit donc autant de corps au travail que des corps qui dansent, cette forme de sport en intérieur étant, de nos jours, les seules échappatoires de ces nouveaux travailleurs et travailleuses.
Parmi ses sources, Eva Evrard a évidemment songé à « La Danse » (1910) d’Henri Matisse, une des plus célèbres œuvres de l’histoire de l’art moderne ainsi qu’aux premières abstractions dynamiques de Piet Mondrian. De l’aveux de l’artiste, la murale s’inscrit aussi dans une filiation avec les œuvres du groupe artistique belge « Forces Murales », sachant que certains de ses protagonistes, Roger Somville en tête, se sont livrés à la création de vastes céramiques murales installées dans des cafés populaires, des écoles et des centres sportifs (Piscine de Saint-Ghislain et de Dour). Le propos d’Eva Evrard est universel en soi et se réfère à une multitude de pratiques artistiques. L’amateur·trice de danse contemporaine effectuera probablement un parallèle avec des scènes de « What the Body Does Not Remember » (1987), premier ballet du chorégraphe belge Wim Vandekeybus (1963). Dans ce spectacle, les danseur·euse·s ne jonglaient pas avec des cartons mais avec des pains de béton cellulaire qu’ils et elles s’échangeaient dans les airs pour évoquer déjà la mise sous pression des individus par le travail. Œuvre pérenne en grès émaillé dont le message s’adresse aux générations futures, « La Danse » d’Eva Evrard témoigne d’une activité faïencière fondatrice de la ville et toujours vivante à travers les résidences d’artistes de Keramis – Centre de la Céramique.
Ludovic Rechhia
Directeur conservateur à Keramis
Eva Evrard’s piece refers to the world of work and its social history. When invited by Keramis in 2020, the artist was immediately struck by the discovery of the exceptional sandstone composition produced by ceramics company Boch Frères Keramis, on request of the National Railway Company of Belgium, SNCB, for the new railway station at La Louvière-Centre. The creation of Master of Art Ernest D’Hossche (1912-1976), in-house ceramicist, it represents most of the industries having contributed to the wealth of the Centre’s region, in a vast landscape against a backdrop of a river network. It comprises the metallurgy, mining, glassware, earthenware, textiles, chemicals and brewing industries. In his panorama, Ernest D'Hossche did not forget the arts: humanities, painting, sculpture, ceramics and engraving are clearly visible in the right side of the composition.
Unlike this reference to a prosperous past, Eva Evrard wanted to evoke another, more current reality, that of the hardship of certain low-skilled jobs in the huge warehouses of online companies. The idea being no longer to create a commemorative work but to warn about the working conditions in all "GAFA" companies and to wonder what glory our ancestors, if they had known them, would have been able to find in them? As much as the alienation, the artist also sought to symbolise the liberation of the body, in this case, through dance; a modern art forgotten in the old mural and yet very present in La Louvière today. As such, the path taken by the artist, mid-way between abstraction and figuration, leaves the work fairly open to interpretation. In the context of the swimming pool, it is an interplay of moving shapes. You can make out bodies and, on intersecting planes, deconstructed packing boxes. It is therefore as much about bodies at work as bodies dancing, this form of indoor sport being, nowadays, the only way out for these new workers.
Among her sources, Eva Evrard obviously thought of "La Danse" [”The Dance”] (1910) by Henri Matisse, one of the most famous works in the history of modern art, as well as the first dynamic abstractions of Piet Mondrian. According to the artist, the mural is also in line with the works of the Belgian artistic group "Forces Murales" [”Wall Forces”], knowing that some of its protagonists, lead by Roger Somville, have created vast wall ceramics installed in popular cafés, schools and sports centres (Saint-Ghislain and Dour swimming pools). Eva Evrard's subject is universal in itself and refers to a multitude of artistic practices. Contemporary dance fans will probably draw a parallel with scenes from "What the Body Does Not Remember" (1987), Belgian choreographer Wim Vandekeybus' first ballet (1963). In this show, the dancers did not juggle with boxes but with cellular concrete blocks that they exchanged in the air to in reference to the pressure placed on individuals by work. A perennial work in enamelled sandstone whose message is addressed to future generations, "La Danse" [”The Dance”] by Eva Evrard bears witness to the ceramics that founded the city and are still alive through the artist residencies of the Keramis Centre of Ceramics.
Ludovic Rechhia
Curator Director - Keramis
"La Danse", 2023. La Louvière, Belgique.
Oeuvre pérenne en grès émaillé, 2m70 x 2M10. Installée à la Piscine "Le Point d'Eau".